Peut-on progresser en lecture quand est dyslexique ?
La dyslexie du développement (qu’on désignera ci-après simplement comme dyslexie) affecte environ 6 % à 8 % de la population française. Malgré une intelligence normale et une bonne santé, les personnes concernées échouent dans l’apprentissage de la lecture. Leur lecture à haute voix est lente, entachée d’erreurs et leur demande beaucoup de concentration. La recherche a mis en évidence depuis une trentaine d’années que le trouble central de la dyslexie réside dans l’extrême difficulté à développer des capacités de reconnaissance des mots écrits qui peut, dans certains cas, affecter la compréhension de ce qui est lu.
À la suite des travaux de Bruce Pennington, les chercheurs s’accordent sur le fait que la dyslexie est provoquée par des facteurs de risque de nature génétique. Ainsi, la probabilité de devenir dyslexique quand un membre de la famille l’est déjà se situe entre 40 et 60 %. Pour l’instant, l’identification, complexe, des gènes responsables est en cours. Des facteurs de risque dits environnementaux tels que, par exemple, un déficit d’exposition et de pratique de la langue orale et/ou écrite, l’opacité du système orthographique avec lequel on lit (celui de l’anglais étant le plus opaque des systèmes européens) peuvent contribuer à aggraver les symptômes.
Cependant, l’incidence de ces facteurs est considérée comme moins importante que celle des facteurs génétiques. Ces derniers vont déclencher une cascade de troubles, comme le montre la figure ci-dessous. Cette série de dysfonctionnements conduit à observer au niveau du comportement des troubles de la lecture (par exemple, une fluence de lecture très ralentie).
Différentes hypothèses sur la nature des traitements déficitaires expliquant la dyslexie ont été formulées et, pour l’instant, le consensus n’est pas encore établi. Ainsi, alors que pour certains la dyslexie serait provoquée par un déficit dans le traitement des sons de parole qui se répercuterait dans le décodage des mots (traduction des lettres en sons), pour d’autres ce déficit serait visuel (difficulté dans le traitement de l’orthographe des mots). Pour d’autres encore, il serait auditif (il s’agirait d’un déficit général à traiter les sons de notre milieu, langagiers ou non), ou encore lié au cervelet (une structure cérébrale responsable en particulier de l’automaticité des apprentissages).
Une autre caractéristique importante de la dyslexie concerne son association fréquente avec d’autres troubles du développement (sa comorbidité) tels que le trouble développemental de la coordination (dyspraxie), ou ceux de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH ou TDA).
Comment diagnostique-t-on une dyslexie ?
Tous les individus qui manifestent des difficultés d’apprentissage de la lecture ou de lecture ne sont pas forcément dyslexiques car celles-ci peuvent avoir des causes diverses : une maîtrise insuffisante de la langue de scolarisation, un environnement social peu stimulant ou une scolarité peu assidue. L’apprentissage de la lecture pose également des problèmes en cas de troubles psychologiques graves, de déficit intellectuel ou encore de déficiences sévères de l’acuité visuelle ou auditive.
C’est seulement face à un déficit sévère d’apprentissage de la lecture, et après avoir éliminé les causes potentielles d’échec évoquées, que l’on peut parler de dyslexie. Le praticien dispose ainsi de critères précis qui lui permettent de diagnostiquer une dyslexie et qui sont proposés par deux classifications médicales internationales, le DSMV et la CIM11.
Des tests de lecture (tests de décodage, de lecture de mots isolés, de fluence de lecture, de compréhension écrite) et un test d’efficience intellectuelle seront administrés au cours du bilan orthophonique. En cas de comorbidité suspectée, des tests cognitifs évaluant par exemple, la mémoire, les fonctions exécutives (responsables du contrôle que l’on exerce sur son activité, l’attention, etc.) seront également pratiqués par un psychologue spécialisé en neuropsychologie. Des troubles dyspraxiques potentiels pourront être identifiés par un psychomotricien. Un diagnostic complet satisfaisant nécessite donc fréquemment l’intervention d’une équipe pluridisciplinaire telle qu’on les trouve dans les centres de référence des troubles des apprentissages (CERTA) ou les centres médico-pédagogiques (CMP).
La procédure de bilan est prescrite par le médecin généraliste qui conseillera des séances de rééducation orthophonique, si la dyslexie est confirmée. En parallèle, une demande d’aménagements pédagogiques pourra être effectuée dès l’école primaire et jusqu’à l’université.
Reste-t-on toujours dyslexique ?
La réponse à cette question est principalement apportée par les travaux conduits avec des adultes dyslexiques de niveau universitaire qui, en dépit de troubles de la lecture persistants, parviennent à obtenir des diplômes de l’enseignement supérieur. Ces travaux rapportent que très peu d’entre eux sont indemnes de troubles dyslexiques et que la grande majorité manifeste des difficultés persistantes à décoder et reconnaître les mots écrits.
En revanche, les travaux de Parrila et de ses collaborateurs observent qu’une majorité manifeste un niveau de compréhension en lecture qui, sous certaines conditions, est identique à celui des lecteurs typiques (environ 75 %). On suspecte que cette dissociation entre capacités de lecture de bas niveau et capacités de compréhension en lecture provient de l’utilisation de compensations, soutenues par des facteurs de protection de la dyslexie.
Ces facteurs peuvent concerner tous les niveaux décrits précédemment (excepté pour les facteurs génétiques pour lesquels, nous n’avons aucune donnée à ce jour). Ainsi, au niveau environnemental, devoir lire en italien provoque des symptômes de dyslexie moins sévères que lire en anglais.
Des facteurs de protection dits cognitifs permettent également d’expliquer pourquoi, par exemple, la performance de compréhension en lecture peut être améliorée. Ainsi, un vocabulaire bien développé compense les difficultés de décodage, en facilitant certains traitements impliqués dans la construction du sens, comme l’accès aux concepts des mots stockés.
De manière générale, un bon niveau de langage et de contrôle cognitif sont considérés comme des facteurs de protection importants. Ces facteurs peuvent avoir des répercussions neurobiologiques par les compensations qu’ils induisent, de nature diverse. Ainsi Patael et ses collaborateurs observent une augmentation du volume cérébral du cortex préfrontal, une région très impliquée dans les mécanismes de contrôle cognitif (qui permet au lecteur de contrôler sa lecture). De la même façon, Richlan et collaborateurs observent une hyperactivation de zones cérébrales engagées dans les processus articulatoires et qui permet de maintenir en mémoire active les mots lus.
Ces mécanismes compensatoires se développent avec l’âge et l’expérience et atteignent une efficacité maximale chez l’adulte. Dans notre laboratoire, nous avons également mis en évidence une forme de lecture particulière de l’adulte dyslexique universitaire qui s’appuie très précocement sur des régions cérébrales frontales associées à l’utilisation des connaissances sémantiques et à celle du contrôle cognitif pour lire les mots.
Enfin, on commence à identifier des facteurs de protection qui renvoient aux traits de personnalité des individus dyslexiques et des caractéristiques du milieu de vie familial et social dans lesquels ils évoluent. Stéphanie Haft en a dressé une première synthèse. Ainsi, un soutien familial limite les retombées négatives, en aidant les dyslexiques à conserver une motivation pour les apprentissages.
Cette motivation dépend également du support des professeurs (tutorat) et de l’institution scolaire (classe de petit effectif, aménagements pédagogiques), de l’entourage amical (avoir un « meilleur » ami et des bons copains) mais également des caractéristiques personnelles de l’individu (pratiquer une pensée positive, la détermination, la curiosité intellectuelle, la capacité à rester concentré sur une tâche difficile) Enfin, un facteur d’importance est le temps alloué aux dyslexiques qui ont besoin d’un délai plus long pour accéder aux informations d’un texte écrit.
Les facteurs de risque et de protection agissent en interaction pour déterminer un profil comportemental de dyslexie et la recherche future doit identifier les modalités de ces interactions.
Les aides du lecteur dyslexique
La rééducation orthophonique, associée ou pas à des prises en charges spécifiques, et des aménagements scolaires peuvent sensiblement aider à améliorer leur lecture. Actuellement, il n’y a pas de consensus scientifique sur des programmes d’entrainement qui permettraient d’agir de façon substantielle et durable sur les déficits cognitifs primaires, en amont de la lecture. Toutefois, des dispositifs numériques peuvent soulager la lecture dyslexique en reformatant le texte en fonction des préférences de l’utilisateur (taille et police des caractères, espacements entre les mots, les lettres et les lignes).
Mais, par exemple, les e-books peuvent ne pas convenir à tous car notre équipe a montré que celle-ci pourrait priver l’adulte dyslexique de ses repères visuo-spatiaux et impacter la compréhension de ce qu’il lit. Pour l’orthographe, des correcteurs orthographiques peuvent être d’un grand secours et nous avons mis à disposition un tutoriel de prise en main rapide du correcteur orthographique Antidote pour le jeune adulte.
On peut également conseiller l’utilisation de livres à « écouter » qui associe une écoute et une lecture simultanée et qui allège considérablement le poids des déficits d’une lecture dyslexique facilitant ainsi l’accès aux contenus des récits proposés. Par ailleurs, d’une part, cette pratique permet de développer le vocabulaire, celui des livres étant plus riche que celui utilisé dans les conversations quotidiennes. D’autre part, celle-ci permet de partager ses lectures et au final d’entretenir l’intérêt pour la lecture et encourager une certaine forme de plaisir à lire. Enfin, la lecture de bandes dessinées aurait également des effets bénéfiques en facilitant certains des traitements de la compréhension (les inférences) ; notre équipe effectue actuellement des recherches pour le montrer.
Pascale Cole, Professeur des universités en psychologie cognitive, Aix-Marseille Université (AMU)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.