Dyslexie, quelle police choisir ?
Benjamin Pastorelli, Université de Bourgogne – UBFC
Le gouvernement a présenté récemment une nouvelle stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement, qui comprennent l’autisme, le trouble du déficit de l’attention et les troubles « dys » (dyslexie, dyspraxie, dysphasie). Ces derniers touchent 6 à 8 % de la population française, soit environ 1 personne sur 14. Cette prévalence pourrait même atteindre 20 % selon certaines estimations.
Les causes de la dyslexie restent mal connues et sa définition est encore débattue. Il est difficile d’identifier des critères clairs qui permettent de distinguer la dyslexie d’une faible compétence en lecture. En conséquence, les critères diagnostiques varient d’un cadre théorique à l’autre. Néanmoins, la dyslexie peut être résumée à des difficultés dans l’écriture et la lecture du langage. Les diagnostics notent généralement une vitesse de lecture lente, ainsi qu’une gêne dans la reconnaissance des mots et dans leur épellation, sans qu’il y ait de problème dans d’autres tâches cognitives.
L’essor d’internet, notamment des réseaux sociaux, a largement augmenté la quantité de nos interactions écrites, et ainsi l’importance de la lecture dans notre quotidien. Cela peut perturber l’accès à l’information des personnes touchées par la dyslexie, ainsi que la qualité de leurs relations sociales médiées par ordinateur.
Pour pallier ces problèmes, des polices d’écriture particulières ont été conçues. Parmi les plus connues, on compte OpenDyslexic, une police libre d’utilisation ; Dyslexie, créée par Christian Boer ; et EasyReading, conçue par Federico Alfonsetti. Mais sont-elles vraiment efficaces ? Quels critères permettent de déterminer si une police d’écriture est réellement adaptée et inclusive ?
Est-ce que les polices d’écriture dédiées fonctionnent vraiment ?
En 2017, des chercheuses ont comparé OpenDyslexic à deux polices très populaires : Arial et Times New Roman. Elles ne trouvent ni amélioration ni détérioration de la lecture en utilisant la nouvelle police. L’année suivante, une autre étude fait le même constat avec Dyslexie (toujours comparée à Arial et Times New Roman). Les personnes ayant participé à l’étude ont même préféré Arial et Times (sans que cela modifie leur performance).
Deux autres recherches sont plus encourageantes. La première, effectuée de 2019, observe que l’utilisation d’OpenDyslexic aide à la lecture et à la compréhension pour les personnes dyslexiques et non-dyslexiques. La seconde, menée en 2023, montre un bénéfice d’OpenDyslexic pour la lecture, mais sans amélioration concernant la compréhension. En somme, les résultats sont mitigés et penchent plutôt vers une absence d’amélioration.
Une question d’espacement plus que de police ?
Certaines études montrent un léger bénéfice de l’utilisation de Dyslexie (7 % de vitesse de lecture gagnée, comparés à Arial). Mais cette amélioration disparait lorsque l’espacement intra-mot (entre les lettres) et l’espacement inter-mot (entre les mots) de la police Arial sont réglés comme ceux de la police Dyslexie. Finalement, ce ne serait pas la police elle-même qui aiderait à la lecture, mais de simples questions d’espacement.
Parmi les trois polices citées (OpenDyslexic, Dyslexie et EasyReading), seule la dernière parait avoir un réel bénéfice. Du moins, c’est ce qu’a observé une équipe de chercheurs en 2018, en la comparant à Times New Roman. Malheureusement, il ne s’agit que d’une étude isolée, dont le résultat mériterait d’être confirmé par d’autres. De plus, EasyReading est sous licence commerciale. La question qui se pose alors est de savoir s’il est vraiment nécessaire de sortir son porte-monnaie pour avoir une police d’écriture inclusive.
Les études citées précédemment laissent penser que la bonne vieille Arial serait au moins aussi efficace que Dyslexie ou OpenDyslexic. Concernant EasyReading, des recherches supplémentaires sont requises. Mais a-t-on seulement besoin d’une police d’écriture spéciale ?
Opter pour une police d’écriture courante ?
Si le bénéfice réel des nouvelles polices d’écriture proposées parait faible, la recherche scientifique montre que des polices d’écriture déjà couramment utilisées pourraient faire l’affaire. Les chercheurs en psychologie, Rello et Baeza-Yates ont identifié les critères qui font qu’une police sera plus facile à lire pour des personnes concernées par la dyslexie. Les polices sans empattement, à chasse fixe et de romaines améliorent significativement les performances de lecture par rapport aux polices avec empattement, proportionnelles et italiques.
Les empattements sont ces petites décorations qu’on peut observer sur les lettres de certaines polices. Par exemple, la lettre F majuscule peut avoir de petites barres verticales au bout de ses barres horizontales ; ce sont des empattements. Times New Roman est une police avec empattements et Arial est sans empattement. On retrouve parfois l’équivalent anglais serif dans le nom de certaines polices.
Les polices d’écriture à chasse fixe (ou monospace) voient tous leurs caractères occuper le même espace. Elles se différencient des polices proportionnelles où les caractères ont des largeurs variables : le i prendra moins de place que le o, par exemple. Des polices comme Courrier ou Lucida Console sont à chasse fixe. Elles sont surtout utilisées en codage informatique.
Le qualificatif romaine réfère simplement à une écriture verticale (l’écriture « normale ») comparée à l’écriture italique qui est oblique. Beaucoup de polices d’écriture ont une version romaine, italique et grasse.
Plusieurs polices courantes rassemblent ces critères qui facilitent la lecture aux personnes dyslexiques : Anonymous Pro, Cascadia Code, Comic Mono, Consolas, Cousine, DejaVu Sans Mono, Droid Sans Mono, Everson Mono, Liberation Sans, Lucida Console, Monaco, Noto Mono, Oxygene Mono, Source Code Pro, Ubuntu Mono, etc.
Dans un monde où l’information passe en grande partie par l’écrit, les personnes rencontrant des difficultés de lecture sont particulièrement désavantagées. Les recherches scientifiques sur l’effet des polices d’écriture sur les troubles « dys » restent peu nombreuses, mais les premières conclusions suggèrent un moyen simple et gratuit de soutenir les personnes concernées par la dyslexie au quotidien : changer de police.
Benjamin Pastorelli, Docteur en psychologie, Université de Bourgogne – UBFC
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Bonjour,
Pour votre information et celle de vos lecteurs, j’ai commenté cet article sur mon blog :
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Thierry Danigo, ergothérapeute (ex TechLab)