Rentrée littéraire : mobilisation pour rendre les nouveautés disponibles aux lecteurs empêchés
Ils sont libraires, bibliothécaires, éditeurs, passeurs de livres en tout genre et, bien sûr, auteurs. Ces professionnels, qui placent le livre très haut, n’ont qu’une seule envie : susciter le désir de lire.
Comme chaque année, en septembre, l’actualité culturelle bat au rythme de la rentrée littéraire. Cet événement, qui place le livre sous les feux des médias, a un grand mérite, celui de montrer l’intérêt des Français pour l’actualité littéraire. Mais qu’en est-il des lecteurs empêchés – déficients visuels, dyslexiques, etc. – qui seraient désireux de découvrir les nouveautés du livre ?
Pour ceux-ci, les éditeurs, associations et bien sûr pouvoirs publics se mobilisent depuis plusieurs années. A travers plusieurs initiatives remarquables, dont la « rentrée littéraire accessible » réalisée chaque année sous la houlette du Syndicat national de l’édition, de la Bibliothèque nationale de France et du Centre national du livre, est l’une des plus emblématiques. S’il reste encore beaucoup à faire, le travail – et l’enthousiasme – des différents acteurs pour trouver des solutions optimales permet d’espérer qu’un jour les lecteurs empêchés pourront découvrir les nouveautés comme tout autre lecteur.
Une culture partagée
La rentrée littéraire, on en parle beaucoup dans les médias. Les personnes en situation de déficience visuelle, quand elles accèdent à ces ouvrages, peuvent partager l’événement avec les voyants, tout en ayant eux-mêmes commencé à lire le livre, s’être fait un avis, forgé une réflexion. C’est vraiment formidable pour eux, cet accès à la culture partagée. Un vrai moment de participation à la vie culturelle.
Thibaut de Martimprey, Vice-Président de l’association apiDV
Thibaut de Martimprey, Vice-Président de l’association apiDV (accompagner, promouvoir et intégrer les Déficients Visuels), est lui-même aveugle et amateur d’ouvrages accessibles, en audio le plus souvent, quelquefois en braille, qu’il lit couramment. Nous lui avons demandé comment il s’y prend pour choisir des livres et les « lire ».
Je suis l’actualité littéraire en écoutant beaucoup la radio, mais aussi en me rendant sur des sites spécifiques sur internet : sites des éditeurs, des magazines, des blogs etc., nous explique-t-il. On ne sait pas toujours qu’une personne en situation de déficience visuelle peut tout à fait utiliser un ordinateur, avec une synthèse vocale, mais aussi un retour en braille, qui s’affiche sous les doigts de l’utilisateur.
Thibaut de Martimprey, Vice-Président de l’association apiDV
Les associations se partagent l’adaptation de toute la rentrée littéraire
« Il arrive cependant qu’une partie de ces sites ne soit pas accessible, mais je trouve toujours l’ISBN d’un ouvrage, la « carte d’identité » d’un livre. Avec cela, je peux le trouver directement parmi les quelques audio-livres, souvent de très bonne qualité, que proposent les librairies. Mais s’il n’a pas été édité sous cette forme (pour la rentrée littéraire, ils sont peu nombreux), comment faire ? Et comment accéder à tout le reste de l’offre des libraires ?
« Là, comme la plupart des déficients visuels, je me tourne vers les associations qui adaptent des livres. Et, pour les livres de la rentrée littéraire, c’est formidable, car, avec le soutien du Syndicat national de l’édition, du Centre national du livre et de la Bibliothèque nationale de France, l’ensemble des associations s’y mettent (apiDV, à laquelle j’appartiens, mais aussi Lisy, BrailleNet, l’Institut national des jeunes aveugles, la médiathèque de Montpellier, la médiathèque Valentin Haüy) : on se répartit la rentrée littéraire et chacun adapte en audio les bouquins, de manière à ce que, fin septembre, toute la rentrée littéraire soit adaptée. Nous-mêmes, l’apiDV, nous en proposons 200 titres, en audio et en braille.
« Dès lors, toutes les personnes autorisées par la loi (aveugles, mal-voyants et dys adhérents de ces associations) peuvent accéder gratuitement à ces livres, dès le mois d’octobre.
En France, on compte 1,3 million de déficients visuels
« Il faut savoir que nous, déficients visuels, lisons les livres avec les oreilles (en audio) et parfois avec les doigts (en braille). En réalité, seules les personnes qui perdent la vue très tôt apprennent le braille. En vieillissant, il devient très difficile de développer une sensibilité des doigts. L’écrasante majorité des déficients visuels utilisent l’audio.
« Il faut aussi se souvenir qu’aujourd’hui en France, un grand nombre de personnes âgées perdent la vue. En adhérant à une association, ils ont accès à leurs médiathèques, ils peuvent emprunter tous les livres audio qu’ils veulent et rompre un isolement dans lequel il risquerait de s’enfermer.
« A cet égard, nous adaptons aussi une vingtaine de journaux et de revues, afin que tous ces publics restent au fait de l’actualité, qu’ils restent actifs et ne s’enferment pas dans le handicap. L’accès au savoir est une bouée de sauvetage, pour beaucoup. Une manière de rester à flot, de continuer à vivre. L’apiDV adapte mille ouvrages par an.
« Le rôle d’une association est d’apporter une réponse sur mesure là où il n’y a pas de réponse commerciale. Ainsi, toute l’année nous répondons à des demandes spécifiques, pour les étudiants, notamment. L’adaptation devient alors un art complexe, qui permet de traiter des graphiques, des schémas, des cartes géographiques… C’est un travail énorme, mais indispensable pour permettre de mener une vie active, en suivant des études scientifiques, par exemple. »
Les dyslexiques et le livre : je t’aime moi non plus
Les personnes dyslexiques, dysphasiques ou dyspraxiques, tout autant que les aveugles, les mal-voyants et l’ensemble de la population, peuvent elles aussi, se passionner pour la littérature en général et par la rentrée littéraire en particulier. Pourtant leur situation, du fait de la nature de leur handicap, est loin d’être simple.
Laetitia Branciard, vice-présidente de la Fédération Française des Dys, revient sur les difficultés particulières à ces personnes dont le handicap, jusqu’à une période encore récente, n’était pas tout à fait pris en considération par les institutions ni par la société.
« On imagine mal combien les publics « Dys » sont vraiment fâchés avec les livres, explique-t-elle. Il faut les comprendre. Autant les petits enfants aveugles sont pris en charge pour les aider à compenser leur handicap, autant les petits « Dys », qui souffrent d’un trouble invisible, sont malheureusement assez mal épaulés. Tant que les autres ne savent pas que les lettres bougent sous vos yeux et qu’elles sont déformées, vous passez pour un crétin, ni plus ni moins. Il y a encore un énorme travail d’information et de formation à mener. Sait-on que 50% des enfants en primaire atteints d’un trouble de l’apprentissage sont dépressifs ? Au collège, ils sont souvent en échec scolaire, de sorte que le livre – instrument par excellence du savoir – aura été pour eux une telle cause d’humiliation qu’ils n’ont plus aucune attirance pour lui, au contraire.
Tant que les autres n’ont pas compris votre handicap, ils vous répètent toute la journée de faire un effort…
« Pour tenter d’y remédier, nous travaillons avec des éditeurs sur certains aménagements graphiques, indispensables pour les Dys, et inconnus des mal-voyants : adapter la police de caractères, l’interlignage, l’écartement entre les mots, la non-justification des textes. Pour les petits, pratiquer la syllabisation colorée. Ce sont là des moyens d’aider ces personnes à développer et conserver une pratique de lecture. Ceux qui sont moins empêchés de lire que les autres vont ainsi pouvoir gérer parallèlement l’écrit, l’écran et la synthèse vocale. Ils vont lire tout seul un moment, puis, quand ils sont fatigués, ils écouteront la voix.
« En revanche, quand on souffre d’une très forte dyslexie, c’est comme si on avait un mur devant soi. Ces personnes, en général, renoncent à la pratique de la lecture. L’édition de livres audio devient alors très intéressante car grâce à elle on s’affranchit de la lecture, qui pose trop de problèmes, mais on reste en contact avec la littérature. Encore faudrait-il que ces publics connaissent mieux l’existence et la disponibilité des livres audio et des livres numériques qui permettent d’accéder à la synthèse vocale. Or autant les aveugles et les mal-voyants sont au fait de ces outils de compensation, autant les Dys en ignorent l’existence (les intéressés, les familles, les professeurs et même beaucoup de bibliothécaires que je suis amenée à rencontrer.
Pendant le confinement, la demande de livres audio par les publics dys a connu une forte croissance de 40%
« Une note positive toutefois : la médiathèque Valentin Haüy a vu, pendant le confinement, la demande de livres audio par les publics Dys croître de 40%, ce qui nous encourage dans nos efforts de sensibilisation.
« De notre côté, nous organisons tous les ans, autour du 10.10 (le dix octobre, dont nous aimerions faire LE jour des dys !) une grande journée de sensibilisation. En 2019, par exemple, elle a eu lieu à la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou et elle était centrée sur la question de savoir comment faire venir les « Dys » en bibliothèque.
« Il reste que l’écrasante majorité des demandes que nous recevons restent celles de parents qui ne savent comment s’y prendre pour que leurs enfants prennent connaissance de leurs manuels scolaires. C’est pourquoi notre tâche principale est de tisser des partenariats avec des éditeurs agréés par le ministère de la culture, pour faire de l’adaptation. Par exemple, pour des manuels scolaires au format PDF pour les élèves DYS, ou une bibliothèque numérique pour élèves DYS, 1500 albums jeunesse, ou encore des ressources pour les enfants dyspraxiques. »
Demain, le livre numérique sera « naturellement » accessible
Les évolutions très rapides des technologies numériques constituent aujourd’hui une formidable opportunité pour toutes les questions d’accessibilité. A commencer par le livre numérique, qui a fait progresser de façon considérable l’accessibilité des publications destinées à un public de déficients visuels.
Pourtant, malgré ces résultats encourageants, nous n’en sommes qu’au début d’une véritable mutation technologique. Virginie Clayssen, présidente de la commission du numérique au Syndicat national de l’édition, nous éclaire sur les enjeux de cette révolution en marche.
« Il faut d’abord vous représenter ce qu’est un livre numérique : un texte numérisé qu’on va lire sur une tablette ou une liseuse. Pour un aveugle ou un mal-voyant, c’est en soi aussi inaccessible qu’un livre normal. Il va donc charger ce fichier sur son terminal de lecture et lancer une voix de synthèse qui va le lire… ou tenter de le lire ! En effet, toutes les indications visuelles du texte n’étant pas appréhendées par la machine, le rendu, sans adaptation particulière, risque fort d’être inintelligible. Les informations fournies par les images disparaîtront, par exemple. Et s’il y a une note, elle va être lue en bas de page, et l’on n’y comprendra rien.
« Il faut donc rendre ce fichier « accessible ». Les éditeurs ont travaillé sur cette contrainte et ils se sont dotés d’une charte qui permet aux compositeurs, en respectant scrupuleusement tous les détails de cette charte, de fabriquer des fichiers non seulement accessibles, mais « nativement » accessibles, c’est-à-dire immédiatement lisibles par la synthèse vocale, sans intervention supplémentaire sur le fichier.
« De plus, la plupart des fichiers adaptés par les associations sont au format DAISY, des livres audio très bien structurés, qui permettent une navigation aisée à l’intérieur du texte. Cependant, le nouveau format EPUB tend à se généraliser dans le monde de l’édition pour les livres numériques. Il est lisible par des voix de synthèse de façon très satisfaisante, pour peu que le fichier source soit nativement accessible.
« Notre objectif actuel est donc de transformer tous nos fichiers en fichiers nativement accessibles. Un travail colossal ! Mais un travail nécessaire si l’on veut que le fonds de l’édition numérique existant et à venir soit complètement accessible aux aveugles et mal-voyants. Et pour s’épargner à l’avenir ces adaptations, on se dirige vers une accessibilité du livre numérique dès sa conception, en amont de la production, autant qu’il est possible. Et c’est là ce qu’on pourra appeler des fichiers naturellement accessibles.
La rentrée littéraire accessible préfigure une accessibilité immédiate toute l’année
« Les associations seront ainsi dispensées d’adapter les ouvrages courants, mais elles auront toujours un gros travail d’adaptation à fournir sur les livres complexes. Il s’agit des livres où l’illustration joue un rôle prépondérant et aussi (et même surtout) des manuels scolaires et des livres universitaires. Pour ces livres, le coût de structuration du fichier est tel que l’éditeur ne peut pas le supporter. Du reste, la directive européenne sur l’accessibilité, qui prendra effet en 2025, a prévu ces cas d’exemptions.
« Dans ce contexte, la rentrée littéraire accessible permet de voir concrètement ce que sera la réalité de demain : une édition numérique complètement nativement accessible. Atteindre cet objectif va prendre encore un peu de temps. Aujourd’hui nous devons encore demander aux organismes agréés de faire une adaptation de nos fichiers source. A l’occasion de la rentrée littéraire, nous anticipons la demande (voir encadré ci-dessous). Les personnes empêchées accèdent à ces ouvrages au moment de leur publication. Dans l’avenir, c’est tous les livres (à part les éditions complexes dont nous avons parlé) qui seront accessibles dès leur parution ».
Le livre et l’accessibilité : à éditeur vaillant rien d’impossible
Depuis 2006, la loi prévoit une exception au droit d’auteur en faveur des personnes handicapées. Dès lors qu’un livre lancé dans le commerce ne répond pas aux besoins d’une personne en situation de handicap, les organismes agréés qui souhaitent en produire une version adaptée se trouvent dispensés de toute obligation à l’égard des ayants droit.
Ainsi est née en 2010 PLATON, la PLATeforme sécurisée de Transfert d’Ouvrages Numériques, gérée par la Bibliothèque nationale de France (BnF).
PLATON centralise la demande des lecteurs, via les organismes qui les représentent et qui adaptent les versions que, de leur côté, les éditeurs mettent à leur disposition sur la plateforme. PLATON centralise aussi toutes les versions adaptées produites par chaque organisme, qui deviennent ainsi disponibles à l’ensemble des organismes agréés et, par leur intermédiaire, à l’ensemble des lecteurs bénéficiaires.
Depuis 2013, une utilisation optimisée de PLATON permet aux éditeurs d’organiser la « Rentrée littéraire accessible ». Pour cette 9e édition, impulsée par le Syndicat national de l’Édition et le soutien financier du Centre national du Livre, pas moins de 90 maisons d’éditions se sont mobilisées, mettant quelques 430 nouveautés à la disposition des aveugles, mal-voyants et « dys » (dyslexie, dysphasie, dyspraxie), dont 90 de littérature jeunesse.
Le moyen adopté est simple : anticiper la demande pour raccourcir les délais. Pendant l’été, les éditeurs mettent sur PLATON leurs fichiers, si bien que les organismes adaptateurs (apiDV, Lisy, BrailleNet, Institut national des jeunes aveugles, médiathèque de Montpellier, médiathèque Valentin Haüy) peuvent rendre disponible leur adaptation en même temps que la parution.
Source : www.culture.gouv.fr