La neuro-architecture ou comment faire de l’espace de travail un lieu de neurodiversité, de cohésion sociale et d’innovation
L’intégration des employés neuro-atypiques représente un véritable défi pour les organisations. La neurodivergence concerne notamment l’autisme, le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ou la dyslexie… L’Inserm dénombre environ 700 000 personnes autistes en France, 100 000 ayant moins de 20 ans. La population française compterait aussi, selon cette même source, entre 3 et 10 % de dyslexiques dans le pays.
Ces différences neurologiques peuvent être des atouts pour les entreprises, comme le suggère la théorie de la neurodiversité. Un nombre croissant d’initiatives émanent du monde de l’entreprise pour l’intégration d’employés neurodivergents, que ce soit via la mise en place des programmes de recrutement spécifiques, des accompagnements adaptés ou la sensibilisation de l’ensemble de leurs collaborateurs.
Ainsi, Ubisoft s’implique dans des projets visant à sensibiliser et à former ses équipes sur les enjeux liés à la neurodiversité et soutient ses collaborateurs neurodivergents via son Neurodiversity Talent Program. Des prestataires de services, comme le cabinet de conseil Teraia, offrent des services pour attirer des talents neurodivergents, adapter les processus de recrutement, proposer des formations pour sensibiliser les collaborateurs et créer des environnements de travail inclusifs pour les personnes ayant des troubles du neurodéveloppement comme la dyslexie, la dyspraxie, la dysphasie, le TDAH ou l’autisme. Ces initiatives montrent un engagement croissant des entreprises et des institutions pour créer des environnements de travail inclusifs et valoriser les talents des personnes neurodivergentes.
Accueillir la diversité des profils
Cependant, le défi de l’adaptation des environnements de travail à la neuro-inclusivité semble aujourd’hui encore peu exploré. L’accessibilité des espaces de travail aux handicaps moteurs est certes en forte progression, mais l’adaptation des bâtiments à la prise en compte des handicaps cognitifs et psychiques ne semble être qu’à ses balbutiements.
Des entreprises pionnières intègrent déjà ces principes dans leurs espaces de travail. SAP, le géant du logiciel, a ainsi lancé le programme « Autism at Work », qui vise non seulement à recruter des personnes autistes mais aussi à adapter l’environnement de travail à leurs besoins. Cela inclut des espaces de travail personnalisables, des zones de calme pour se ressourcer, et une communication visuelle claire pour réduire les ambiguïtés. Microsoft, dans ses actions de promotion de la diversité et de l’inclusion, a repensé certains de ses espaces pour mieux accueillir la diversité des profils cognitifs et prendre en compte les contraintes et spécificités de l’ensemble de ses collaborateurs.
Des ajustements ont été apportés pour offrir des environnements de travail plus flexibles, avec des options pour des bureaux isolés, des éclairages ajustables, ainsi que des espaces verts intérieurs, le design biophilique pouvant être un facteur de bien-être au travail.
Architecture et neurosciences
Dans le cadre de nos travaux de recherche, nous explorons notamment l’apport potentiel de la neuro-architecture dans l’émergence et le développement d’espaces de travail adaptés à la neurodiversité. La neuroarchitecture représente une avancée passionnante à l’intersection des neurosciences et de l’architecture, cherchant à optimiser nos espaces de vie et de travail en fonction de la compréhension approfondie des réactions cérébrales humaines à l’environnement bâti.
Comme l’explique Colin Ellard, professeur de neuroscience cognitive, cette discipline s’appuie sur les connaissances croissantes du cerveau pour formuler des hypothèses éclairées sur notre interaction avec les espaces architecturaux. Les caractéristiques physiques de l’environnement, telles que la lumière, la couleur, la disposition spatiale, les matériaux de construction et les éléments de design, peuvent en effet influer sur le cerveau et le comportement des occupants. https://www.youtube.com/embed/OEXedoyp0_k?wmode=transparent&start=0
L’architecture adaptée peut être un moyen puissant d’attirer des talents et de renforcer la marque employeur, notamment dans un contexte de recrutement difficile. En proposant des environnements de travail inclusifs et innovants, les entreprises peuvent se différencier et devenir des employeurs de choix. Par ailleurs, ces environnements profitent à tous, neuroatypiques comme neurotypiques, en offrant des espaces de travail mieux adaptés, plus confortables et plus stimulants pour l’ensemble des collaborateurs. Cette approche inclusive crée un environnement de travail plus harmonieux et productif, où chaque individu peut s’épanouir pleinement.
Contrairement aux mouvements architecturaux traditionnels, souvent guidés par des principes esthétiques ou philosophiques, la neuroarchitecture place l’expérience humaine au cœur de la conception. Ellard souligne l’utilisation d’outils permettant de mesurer les réponses physiologiques aux environnements construits, ouvrant la voie à des espaces qui soutiennent non seulement la diversité fonctionnelle mais aussi cognitive et neurologique.
Dans le cadre professionnel, cela signifie créer des environnements qui respectent et valorisent la neurodiversité, en intégrant activement des considérations pour les personnes avec des fonctionnements atypiques, tels que les dyslexiques ou les autistes. Par exemple, la conception d’espaces qui minimisent les stimuli sensoriels excessifs peut créer un environnement de travail plus confortable pour les personnes autistes, qui peuvent être particulièrement sensibles aux bruits forts ou à l’éclairage intense.
L’aménagement intérieur de l’espace de travail peut ainsi prévenir la surcharge ou la stimulation sensorielle, à travers notamment la modularité de l’éclairage ou du mobilier, le choix des couleurs, des signalétiques ou des matériaux. Des espaces et outils peuvent également permettre de s’isoler et de se régénérer (ex : bureaux muraux, casques antibruit…), de même que des assises dynamiques peuvent permettre de rester assis sans rester figé sur sa chaise, et constituer ainsi une solution aux troubles de l’attention.
La neuroarchitecture, en façonnant nos espaces de vie et de travail à l’aune des nuances de la psyché humaine, ouvre un horizon d’inclusion offrant aux individus neurodivergents, tels que les autistes et les dyslexiques, un environnement où leurs capacités uniques ne sont pas seulement reconnues, mais véritablement valorisées. En prenant en compte les besoins spécifiques des personnes neuroatypiques, la neuroarchitecture ouvre la voie à des environnements professionnels où diversité, cohésion sociale et innovation vont de pair, créant ainsi un cadre où chaque individu a la possibilité de s’épanouir et de contribuer pleinement.
Par ailleurs, une organisation très à la mode comme le flex office peut ne pas être adaptée aux besoins spécifiques des neuroatypiques, car elle peut augmenter les stimuli sensoriels et réduire les possibilités de se retirer dans des espaces calmes. Des expériences similaires ont été observées dans d’autres contextes (Centre Maggie’s à Leeds – l’hôpital), où les principes de neuroarchitecture ont été appliqués pour améliorer le bien-être et la productivité des employés dans divers environnements de travail.
Olivier Meier, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Christian Makaya, Enseignant-chercheur en sciences de gestion, Ascencia Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.